Voilà. Dans Aftermath, un sort final a donc été donné au Gungan sans doute le plus décrié de la saga intergalactique. On sait ce que Jar Jar est devenu, après cette dernière image qu'on ait vue de lui, dans laquelle il suit la procession funéraire qui accompagne Padme vers sa dernière demeure dans l'Episode 3. Jusque là, les rares qui se posaient la question de savoir la destinée de l'amphibien de Naboo après les événements de l'Attaque des Clones étaient plutôt d'accord pour considérer qu'il ne laisserait pas une grande trace dans l'histoire de la République, à part - et c'est pas rien - d'avoir été celui qui a donné les pleins pouvoirs à Palpatine, le propulsant à deux pas du trône d'Empereur.
C'est donc la fin de Jar Jar. Et c'est une fin très, très particulière... D'abord par sa place dans le roman. Ensuite, par sa teneur, étonnante, et très incongrue dans l'univers Star Wars: Jar-Jar ne finit pas sur un bûcher Jedi, en tombant dans un puits de réacteur ou en se faisant découper par un sabre féroce. Sa fin est beaucoup plus humaine, et aussi beaucoup plus triste et... et elle prend des dimensions très profondes, qui dépassent rapidement le simple cadre de la saga intergalactique, se pétrissent de la réalité de notre monde, dans une métaphore tragique découpée au millimètre, qui colle sacrément bien au personnage, pour qui veut réfléchir un peu.
Donc, contrairement à ce qu'a laissé un moment entendre JJ Abrams, non, le squelette de Jar-Jar ne repose pas quelque part dans le désert de Jakku. Jar Jar est mort sur Naboo, sa planète natale, au terme d'une vie qui l'a porté des bas-fonds bourbeux des marécages nubiens jusqu'aux plus hautes fonctions politiques coruscanti, avant de le plonger pour toujours dans l'anonymat de la rue. Oui, Jar Jar est mort dans la rue, en jouant son dernier rôle, celui d'un clown, oui... un clown, un amuseur public, pour les enfants réfugiés de toute la Galaxie que Naboo a accueillis au lendemain de la Guerre des Clones. D'après les descriptions, on comprend que les pitreries auxquelles il se livre pour distraire les enfants sont un florilège de ce qu'on a connu de lui dans TPM: chutes, grimaces, éclaboussures... Et c'est par l'entremise d'un enfant, qui désire lui aussi devenir amuseur public pour ces petites âmes en souffrance et cherche à le rencontrer, que l'on retrouve Jar Jar à Theed, la capitale de Naboo. Le sort de cet enfant partage le tragique de la situation: défiguré, il sait qu'il a peu de chances d'être adopté, et veut donc se consacrer aux autres. Jar Jar et lui deviennent amis.
Jar-Jar, finir comme un clown, dans la rue... cela, d'abord, provoque le sourire.
Et puis bien vite, au-delà de son apparente naïveté, cette fin interroge et fait réfléchir, à plusieurs niveaux, et elle finit par se révéler beaucoup plus profonde que ce qu'elle est.
Dans sa forme littéraire, tout d'abord: elle constitue un interlude du livre.
Jar-Jar n'est ni le héros principal ni même le sujet de l'intrigue de la trilogie Aftermath de Chuck Wendig. Tomber sur ce personnage si clivant de l'univers, qui a cristallisé autour de lui une si grande haine de la part des fans, alors qu'on ne s'y attend pas, provoque une surprise certaine. Et il faut le dire, assister à sa fin se révèle quelque peu déroutant. Jar Jar est à l'évidence de tous haï par une grande partie des fans, et en ennuie prodigieusement probablement une grande seconde partie. Mais désormais, il apparaît comme un personnage tragique, dans la dimension théâtrale du mot: son sort est celui d'un qui n'a pas eu de chance - et c'est très différent, entre naître foncièrement méchant et être haï pour cela, ou au contraire naître sans avoir de bol et en pâtir toute sa vie. Jar Jar n'a pas eu de bol et on ne peut pas dire qu'il était foncièrement mauvais. Il a toujours fait partie des bons gars, et s'est malgré lui, dès cette rencontre avec un Jedi, retrouvé embarqué dans des événements qu'il ne maîtrisait plus. A la lueur de cette tragédie, la perception qu'on a de Jar Jar se voit modifiée. C'est un premier enseignement qu'on tire de cette histoire.
Un effet stylistique est également révélateur, quand on y réfléchit, de la subtilité et de la puissance du traitement: dans cet interlude qui signe la fin de son histoire, Jar Jar n'est jamais appelé Jar Jar. On le désigne par "le clown", et Chuck Wendig a farouchement veillé à ne jamais écrire son nom.
Dans sa teneur, ensuite.
Surprenante et iconoclaste dans l'univers Star Wars, cette fin est très proche de nous, très terrienne, très humaine, bien loin des étoiles, des vaisseaux, de l'espace... Jar Jar finit comme un clown. Ca tombe bien pour ce personnage naïf, idiot, gaffeur et peu attentif à ses actes. Clown pour enfants, en plus! Ca pouvait pas mieux aller, s'il y a bien un seul public qui a rigolé à la prestation du Gungan dans les films, c'est bien, les moins de 6 ans. Bref, clown, enfants, tout colle. Ca nous sort des sabres laser, des trahisons et des explosions qui d'habitude sonnent le glas des personnages de l'aventure.
Mais c'est sur le plan philosophique, que cette fin tragique prend le plus d'ampleur.
Jar-Jar finit donc comme clown. Certes. Mais pas n'importe quel clown: un amuseur d'enfants réfugiés. Il rend le sort des autres meilleur, lui qui a failli plonger la Galaxie dans le chaos. On peut convenir que c'est, en somme, une profession honorable de clown. C'est du moins mon avis.
Ensuite, un fort sentiment d'abandon hante cet interlude. Je l'ai dit, Jar Jar n'est jamais appelé par son nom. Il est même écrit que personne sur Naboo, même parmi les Gungan, ne connaît son existence. Du lecteur lui-même aux personnages de l'histoire, personne ne reconnaît une quelconque identité à Jar Jar, personne ne lui attribue un nom sous l'habit du nigaud. Jar Jar n'est tellement plus rien pour personne qu'il a été dépossédé de son identité - jusqu'au bout. Plus personne ne se rappelle du bien qu'il a fait, aux Gungan comme aux Naboo, d'abord en étant la clé du rapprochement de ces deux peuples jusque-là fâchés, puis en se battant pour leur redonner possession de leur planète natale. Etre nommé Général, puis Sénateur, pour finir clown de rue... On peut éminement se demander ce qu'il serait advenu de lui si Padmé avait vécu. Son sort eût certainement été tout autre.
Mais cette façon de finir! D'aucuns la jugeront ridicule, grotesque, très éloignée de l'univers Star Wars. Ils prétendront qu'elle est exagérée, et ils auront peut-être raison... même si c'est oublier un peu vite que la réalité terrestre fait intimement partie de la saga intergalactique, depuis bien avant la sortie d'Aftermath. Pourquoi Cin Drallig s'appelle-t-il ainsi, si ce n'est parce que le coordinateur des cascades s'appelait Nick Gillard? Pourquoi Mace Windu a-t-il un sabre violet, si ce n'est une exigence personnelle de l'acteur Samuel Lee Jackson? Dans la même veine d'amener dans l'histoire des clins d'oeil de la réalité, Chuck Wendig a réussi un parallèle en tous points remarquable: sur Terre, le personnage de Jar Jar a été ostracisé par les adultes - n'est-ce pas précisément le cas dans cet interlude, où ni les adultes Naboo ni les Gungan ne connaissent son identité, ni même sa présence, et où même le lecteur n'est jamais autorisé à lire son nom? - alors que parallèlement il faisait rire les enfants qui du coup l'adorent - n'est-ce pas précisément ce que fait "le clown" dans cet interlude, amuser les enfants qui du coup, l'adorent?
Finalement, le personnage de Jar Jar n'est-il pas l'incarnation ultime de l'ostracisation et du rejet? Quand on fait sa connaissance, au début de TPM, il est déjà un exclu, banni par le peuple d'Otoh Gunga. Quand on le rencontre pour la dernière fois dans Aftermath, il est ostracisé par tout le monde, le réel comme le galactique. Il n'existe plus pour personne, et plus personne ne prononce son nom. La seule personne qui ose l'approcher et en qui il trouve un ami, est également un enfant ostracisé à cause de sa défiguration. "The circle is now complete".
Le pari pris par Chuck Wendig était énormément risqué, de revenir à un tel personnage après ce que le monde lui a fait subir, et lui donner cette fin sans égale par ailleurs dans tout l'UE, à des parsecs des morts habituelles qu'on rencontre dans la saga. Est-ce que cet interlude rachète Jar Jar? Difficile à dire. Chacun se fera son idée, car c'est aussi là l'un des points forts de cette histoire: elle ne pose aucune condition, laisse au lecteur son libre arbitre. On peut s'arrêter au personnage du clown, ou creuser plus avant. Ce qui est certain, c'est qu'elle ferme définitivement la porte, en rajoutant peut-être une once de profondeur à un personnage en apparence superficiel. C'est en fait toute l'hyporisie des adultes et la pureté des enfants que Wendig souligne magistralement dans ce passage. Ca ne rachètera peut-être pas Jar Jar aux de tout le monde, mais ça lui donne une fin loyale, et digne.
Que la Force soit avec toi, Gungan.