Oreste Tissan suivit de ses yeux verts et gris le sentier sableux qui rampait jusqu'au sommet du Pic Sombre. La pointe déchiquetée par les éléments et le temps se dressaient devant lui comme un sombre augure, un défi inaccessible.
Il allait relever ce défi, il allait s'emparer du Bâton Obscur. Et dompter son pouvoir, chose qu'Alan Tissan avait échoué à faire.
Je ne suis pas aussi faible que toi, Alan. L'Empire le verra bien assez tôt.
Une voix tentatrice traversa alors ses pensées.
Tu es prometteur, je t'attends avec impatience. Nous nous verrons bientôt, très bientôt.
Dark Rivan l'appelait à travers la Force.
-Moi aussi, j'attends notre rencontre avec impatience, murmura le jeune corellien.
Une main délicate l'agrippa par le coude.
-Oreste, tu le sens?
Les yeux bleus de Tzipah trahissaient de l'inquiètude. Il s'efforça de le rassurer, car il se doutait qu'elle écoutait ce souffle qui parasitait son crâne.
-Le Bâton Obscur ne sera plus un problème.
-Je maintiens que je dois venir avec toi, insista la jeune Sorcière des Chutes Brumeuses.
-Je maintiens que non.
Il tourna la tête par dessus l'autre épaule pour observer les deux guerrières de la Montagne Qui Chante qui demeuraient impassibles derrière eux deux.
-Où est Orcheron? Demanda Oreste.
-Elle est rentrée aux Chutes Brumeuses avec trente Soeurs de la Montagne Qui Chante.
-Quoi? S'écria-t-il. Seulement trente?
Il plongea son regard dans le sien et il la surprit en train de se mordre la lèvre.
-Tu peux m'expliquer ce que ça veut dire?
-Nous en reparlerons aux Chutes Brumeuses.
Il n'obtiendrait rien de plus. Il était temps d'accomplir sa quète. Il se tourna vers les remparts de la cité qu'il laissait derrière lui.
-Je reviendrai aussi vite que possible, promit-il à son amie.
Celle-ci l'embrassa sur les lèvres et ce bref contact lui donna l'impression de savourer un miel sucré qui se déversa dans sa gorge.
Par pudeur, elle s'écarta de lui et reprit son masque impassible. Le coeur lourd, il se résigna à entamer son ascension, escortée de ses deux némesis.
Tout au long du parcours, Oreste ne cessait de ressentir ce picotement qui courait sur sa nuque. Les expressions fermées des deux Sorcières qui le couvraient montraient qu'elles étaient au moins tout autant indisposées.
Une sombre énergie les entourait et s'intensifiait à mesure qu'ils se rapprochaient. Une énergie qui tourmentait les flux de la Force, qui ne pouvait provenir que du Bâton Obscur. Le Jedi posait la main sur la crosse de son sabre laser, pour conjurer sa nervosité.
Viens à moi.
Rivan l'appelait comme dans ses rêves.
L'entrée d'une caverne marqua tout à coup le terme de leur périple. Des miasmes opaques convulsaient la Force en un torrent d'obscurité qui déferlait sur leurs perceptions sensorielles par cascades.
Contrairement aux deux Sorcières de la Montagne Qui Chante qui grimaçaient sous l'effet d'une nausée instinctive, Oreste se sentait grisé comme s'il était chez lui. Il dégaina son sabre laser et l'activa, laissant un néon crépitant vert émeraude se déployer devant son visage fin.
-Attendez-moi ici.
Aucune ne protesta, cela leur semblait convenir de ne pas s'aventurer au-delà. Élevant son sabre au-dessus de lui pour éclairer le chemin, il trébucha au bout de quelques mètres. Le halo illumina des reflets de squelettes émiettés, mélangés les uns aux autres en un amas sinistres.
Certainement les restes des infortunés qui avaient tenté avant lui de s'emparer du Bâton Obscur.
Viens à moi.
Au bout d'une vingtaine de pas où il piétina malgré lui d'autres fossiles, ce qu'il convoitait apparut enfin devant lui.
L'artefact flottait au-dessus du sol, de manière irréelle. Un halo bleuté sinistre cernait ses contours tandis que le pommeau brillait d'un éclat mauve presque éteint. Il n'avait qu'à tendre la main pour s'en saisir.
Prends le.
-Je ne vais pas me gêner, railla Oreste.
Malgré ce picotement désagréable qui continuait d'électriser sa nuque, le corellien ne voyait aucune raison d'être méfiant.
À l'instant où il étreignit le Bâton Obscur entre ses doigts, sa conscience explosa. Tout lui semblait clair, limpide. Il était destiné à vivre ce moment. Tout comme pour Alan, le Bâton Obscur devait lui revenir.
Des images issues d'un lointain passé défilèrent dans son esprit. Dathomir.. Rivan lui raconta son histoire.
Les Sith y possédaient jadis une académie, à l'endroit même où le clan de la Montagne Qui Chante s'était installé. Kaan ordonna peu avant la défaite de Ruusan d'enfouir le Bâton Obscur au sommet du Pic Sombre. Pour que personne ne le trouve. Car cet imbécile craignait son pouvoir.. au lieu de tenter de le comprendre.
Il vit une femme encapuchonnée entrant dans la caverne et fixant l'artefact qui lévitait devant son visage. Avant de s'en détourner.
Allya, exilée par l'Ordre Jedi, ne l'a pas davantage compris. Tout comme ton ancêtre.
Un chevalier Jedi corellien entra à son tour et sans aucune approche prudente et réfléchie, agrippa le Bâton avant de s'échapper de la grotte en courant. Oreste revit sa fuite éperdue à travers la forêt, sa confrontation avec Yoda.
Il l'entendit exposer les raisons de ses actes au Grand Maître qui les réfutait. Il le vit tenter d'user du Bâton Obscur, prêt à libérer une puissance qu'il ne comprenait pas. Il le vit mourir, avec la certitude d'avoir fait ce qui lui semblait juste.
Il se promettait de ne pas échouer.
Il ramena le Bâton Obscur à lui, pour l'admirer. Le pommeau qui le surmontait se mit à étinceler d'un éclat plus aveuglant. Une énergie le traversa en un ruisseau fluide avant qu'il ne s'effondra à genoux, le crâne perclus de douleur. Comme si ce dernier était transpercé simultanément de plusieurs coups de vibrolame.
Pensais-tu vraiment qu'il n'y aurait pas de contrepartie?
La souffrance disparut et des images du passé apparurent de nouveau. L'image d'un Sith zélosien en chair et en os.
J'étais tellement plus autrefois. J'avais des adeptes, une forteresse à Almas. J'avais une armée à mon service. Je détenais le pouvoir de distordre la Force, d'aborber la vie de mes ennemis. Mais les Jedi m'ont attaqué et m'ont tout pris.
Les mots dans sa tête résonnaient de colère.
J'ai du m'enfuir comme un voleur. J'ai traversé le temps et l'espace pour mourir sur un maudit champ de bataille.
-Mais vous avez réussi à transférer votre esprit dans le Bâton Obscur.
Survivre ne me suffit pas.
Oreste devina la teneur du marché que Rivan voulait conclure avec lui. Une répulsion instinctive étreignit son estomac à cette idée.
Je veux redevenir ce que j'ai été, acquérir l'immortalité qui me revient de droit. Et tu vas m'y aider, jeune homme.
-Jamais.
J'ai voulu conclure le même marché avec ton ancêtre. Mais je n'ai pas été assez persuasif, j'ai eu le temps de méditer mon erreur.
-Pourquoi le ferai-je?
Je sais que tu ne crains ni la douleur ni la colère. Tu as au contraire appris à les étreindre pour en tirer ta force. Ton instinct de survie m'impressionne.
-Venant d'un Sith, j'imagine que ce n'est pas un mince compliment.
Mais ce n'est pas suffisant pour ce que tu as l'intention de faire.
-Mes projets ne regardent que moi. Si vous pouvez m'aider, tant mieux.
Je sais ce que tu veux et tu sais ce que je veux. Que décides-tu?
-J'ai besoin d'y réfléchir.
Peut-être as-tu besoin d'être encouragé.
De nouveau Oreste fut jeté à terre par les dizaines de dagues invisibles qui perforaient son cerveau de part et d'autre. Il ne put retenir les beuglements qui se repercutèrent dans toute la grotte, ce qui ne suscita aucune pitié chez Rivan.
Maintenant, décide. Veux-tu finir comme Alan?
-Jedi?
Les deux Sorcières venaient de surgir et assistèrent au spectacle, en tentant de comprendre ce qui s'y passait. Oreste surmontant son calvaire, lut la confusion et l'effarement sur leurs traits.
Elles te voient et bientôt elle sauront.
La douleur s'effaça et le corellien se redressa sur ses appuis, titubant comme un ivrogne. Il s'aperçut que les deux guerrières le menaçaient avec leurs lances.
Si tu les laisses raconter ce qu'elles ont vu, tu auras perdu leur confiance. Et tu ne pourras plus te venger.
-Lâche ça et reviens avec nous.
L'une des Sorcières s'approcha lentement et la pointe de sa lance s'arrêta à quelques centimètres de sa poitrine.
Que choisis-tu? Insista l'esprit du Sith zélosien.
-J'accepte votre offre.
Alors tue les.
Oreste sentit ses dernières entraves se dissoudre, il n'avait plus à se retenir. Il fit face aux deux dathomiriennes qui s'étaient séparées, qui remarquèrent une étrange flamme funeste irriguer ses iris verts et gris.
-Oui, maître.
Des éclairs fourchèrent du pommeau et les frappèrent de plein fouet. Elles se tordirent en lâchant des glapissements aïgus, leur énergie vitale drainée par le Bâton Obscur. Tout ce qu'elles avaient été, tout ce qu'elles auraient pu devenir.
Tout cela appartenait maintenant à Rivan.
C'était cela le marché qu'il avait conclu. Il le comprit à l'instant où les corps s'étendirent à ses pieds. En échange de sa vengeance contre l'Empire, il lui offrirait des âmes. Mais il répugnait à l'aider à devenir immortel.
Quelque part, enfoui parmi sa noirceur, il demeurait persuadé d'agir en Jedi. Cependant, force lui était de reconnaître qu'il était allé plus loin que son ancêtre. Il avait pactisé avec l'esprit malveillant d'un Seigneur Sith. Une conduite qui s'éloignait des enseignements de Neeja Halcyon et de Ki Adi Mundi. Pire, cela les contredisait. Il en tira la conclusion logique.
Il était devenu le Jedi Noir de Dathomir.
Il aurait du en ressentir de la gêne, une once de honte. Mais rien de tout de cela, seulement un vague sentiment de fatalisme.
Le coeur de Tzipah bondit de joie lorsqu'elle vit réapparaître la silhouette du jeune corellien plus haut qui descendait rapidement le sentier. La guerrière zabrak qui patientait à ses cotés ne partageait pas cet enthousiasme.
-Quelque chose s'est mal passé, grogna Magash entre ses dents.
La jeune amie dathomirienne l'accompagna lorsque la non humaine s'avança de quelques mètres à la rencontre d'Oreste.
-Qu'est-il arrivé à Siem et Kilym? Demanda brusquement Magash.
-Mortes en faisant leur devoir, répondit-il.
Les deux femmes fixèrent un instant le sceptre qu'il détenait dans sa main gauche. Leurs perceptions sensorielles furent attisées par l'électricité obscure qui s'en dégageait.
-Comment sont-elles mortes? Insista Magash suspicieuse.
-Le Bâton Obscur les a tuées.
Je les ai tuées pour sceller le pacte avec Rivan, pensa-t-il pour lui-même. Il pourrait le dire à voix haute, si cela lui chantait mais il ne voulait pas que Tzipah se détourne de lui. Il ne le supporterait pas.
-Je ne te crois pas, cracha la zabrak qui crispa ses doigts sur sa lance.
-Moi je le crois, intervint Tzipah.
-Parce que tu aimes cet homme, tu manques d'objectivité.
L'amie d'Oreste se plaça entre lui et la non humaine.
-J'ai appris à lui faire confiance, se défendit-elle. Tu devrais en faire autant au lieu de continuer à le détester.
-La confiance est une question de patience, lança Augwynne Djo.
La matriarche de la Montagne Qui Chante considéra le Jedi et les deux femmes qui commençaient à se disputer.
-C'est un diamant précieux aussi difficile à préserver que facile à perdre.
-Que suis-je censé comprendre? Fit le jeune corellien qui remarqua qu'elle s'adressait à lui.
Augwynne soutint son regard perplexe.
-Au nom du clan, je vous suis reconnaissante de nous avoir délivré de la malédiction. C'est pourquoi Magash vous raccompagnera aux Chutes Brumeuses avec trente autres de nos combattantes.
-Mère? S'écria la zabrak qui n'approuvait pas.
-J'ai pris ma décision.
-Soixante, c'est toujours mieux que trente, déclara Oreste. Mais cela demeure insuffisant, vous devez vous engager totalement à nos cotés si vous voulez remporter cette guerre.
-Votre guerre, Jedi.
La matriarche adoptait un ton distant.
-N'oubliez pas ce que je viens de vous dire sur la confiance. Que la bénédiction d'Allya vous accompagne.
Voilà ce sera tout! J'espère que cela vous plaira, à la prochaine
