Vous êtes vous déjà posé la question de la diversité sexuelle dans Star Wars ? Existe-t-il des gays, des trans ou des non-binaires dans la galaxie ? Et si tel est le cas, combien sont-ils, et est-ce quelque chose de nouveau dans l'Univers Étendu (UE) ?
Récemment, l'apparition de plusieurs personnages gays dans l'univers de Star Wars a fait couler de l'encre, de même que la présence de personnages non genrés. Ce qui a suscité des débats parmi les fans sur les réseaux sociaux et les forums, concernant l'acceptation de soi, l'ouverture d'esprit, la sexualité, et notamment à propos des raisons des récentes introductions de ces nouveaux personnages.
Lorsque la plupart des fans s'en réjouissent, d'autres soupçonnent les auteurs de chercher uniquement à faire du buzz ou à remplir des quotas. Alors, démagogie ou ouverture d'esprit ?
Les premiers pas
Afin de trouver les premiers personnages LGBT de la galaxie Star Wars, il faut se plonger vers l'ancien Univers Étendu, qui correspond aux actuels récits Légendes. Dans le jeu Knight of the Old Republic, sorti en 2004, Juhani, une Jedi de l'espèce des Cathar, est la première lesbienne de la franchise Star Wars. Ou en tout cas la première queer explicite de la franchise. Créée et écrite en tant que personnage lesbien, Juhani était également l'une des nombreuses options de romance pour la version féminine de Revan, protagoniste du jeu. Notons qu'une erreur dans la première version du titre - corrigée depuis - permettait aux joueurs masculins comme féminins d'accéder à la sous-intrigue de la romance de Juhani, ce qui a laissé penser que Juhani était bisexuelle.
Quoi qu'il en soit, la portée du personnage est restée limitée : le second volet du jeu puis les différents romans établirent dans l'ancien canon que Revan était un homme épris de la Jedi Bastila Shan, invalidant ainsi la romance homosexuelle. Cependant, même si la relation de Juhani avec une Revan féminine devint non-canon, sa sexualité, elle, est restée inchangée, comme en témoigne une partie de l'arc du personnage dans Knight of the Old Republic, où l'on apprend qu'elle a eu une liaison avec une amie d'enfance, la padawan Jedi Belaya.
Juhani, dans Knight of the Old Republic
Deux ans plus tard, en 2006, l'univers de Star Wars marquait une autre étape importante dans l'histoire de la franchise, avec l'apparition du premier couple gay marié. Introduit en 2006 dans le roman électronique Boba Fett : A Practical Man de Karen Traviss, le commando mandalorien Goran Beviin, devenu chasseur de prime et homme de main de Boba Fett sous la Nouvelle République, était, comme le précisait l'histoire, en couple avec un forgeron mandalorien du nom de Medrit Vasur. Seulement mentionné, Vasur fit son apparition en 2008, dans Sacrifice, le cinquième tome de la série L'Héritage de la Force de Karen Travis. Premier couple gay de Star Wars, Beviin et Vasur ne furent explicitement mentionné comme couple marié qu'après coup, à la sortie de The Complete Star Wars Encyclopedia.
Ces éléments prouvent bien que l'apparition de personnages ou de relations gay ne date pas d'hier, et que la question de cette intégration à l'univers Star Wars se pose depuis déjà un certain temps, au moins depuis 2004. Il convient toutefois de préciser qu'en 1997, dans la trilogie Yan Solo d'A.C. Crispin, le personnage de Sharn Shild, un Moff impérial, gardait une maîtresse pour impressionner ses collègues impériaux et cacher le fait qu'il n'était pas intéressé par les femmes. Bien que jamais confirmées, cela a conduit à des spéculations du fandom sur l'homosexualité du personnage.
Bien que les personnages de Juhani, Beviin et Vasur aient été des points de repère importants dans la représentation LGBT de Star Wars, les personnages queer ont continué à être rares et à n'apparaître que dans les oeuvres auxiliaires plutôt que dans celles du G-Canon, la continuité la plus importante de l'ancien système de canonicité. C'est le cas de Ferus Olin. Mentionné dans la série de romans Le Dernier des Jedi de Jude Watson, cet ancien padawan noue une relation avec un humain du nom de Roan Lands, avec qui il crée le groupe de résistance The Eleven, pour lutter contre l'oppression de l'Empire.
Les expériences de The Old Republic
Il aura fallu un retour dans le domaine des jeux vidéo pour franchir la prochaine étape importante, avec le lancement du jeu The Old Republic en 2011. Nouveau titre développé par Bioware, à qui l'on devait les jeux Knights of the Old Republic, ce MMORPG narratif se démarquer de ses concurrents de l'époque par l'importance qu'il accordait au choix des joueurs. Dans la création du personnage, certes, mais aussi dans la manière de façonner leur histoire, de former un groupe de personnages qui les rejoignaient dans leur quête et, aussi, dans la poursuite ou non d'une relation amoureuse.
Malgré les attentes, The Old Republic n'a été lancé qu'avec des options de romance hétérosexuelle. Un tir corrigé deux ans plus tard avec l'ajout de la première extension de contenu majeure, The Rise of the Hutt Cartels, mais non sans erreurs de jugement. Parmi les nouveautés, Bioware avait ajouté un seigneur Sith au sang pur explicitement gay, Cytharat, ainsi qu'une scientifique humaine et bi, Lemda Avesta. Les deux personnages étaient cependant confinés à la planète de l'extension, Makeb, et ne pouvaient rejoindre les rangs des joueurs pour le reste de l'aventure. Sans oublier que l'extension en question restait payante. Pour beaucoup de fans, Makeb devint dès lors « la planète gay », tandis que les principaux intéressés regrettèrent que les romances et les personnages queer ne semblaient pas recevoir un traitement équitable.
Theron Shan dans l'extension à The Old Republic, Shadow of Revan
Bioware prit acte de ces remontrances en 2015, avec la mise à jour majeure liée à l'extension payante Knights of the Fallen Empire. Celle-ci vit l'ajout de trois personnages principaux, disponibles pour tous les joueurs : l'agent de renseignement de la République Theron Shan, le contrebandier Koth Vortena et une seigneur Sith nommé Lana Beniko. Non seulement s'agissait-il de héros majeurs de l'histoire, mais chacun d'entre eux pouvait également avoir des relations avec les personnages féminins et masculins. De plus, contrairement à Cytharat et Lemda, ils pouvaient aussi suivre les voyages du joueur.
Sous Disney
Ainsi, avec plus d'une dizaine de personnages clairement définis comme étant LGBT, l'univers Star Wars n'a pas attendu l'arrivée aux affaires de Disney pour mettre en scène des minorités sexuelles. La plupart des tentatives de Star Wars pour créer et mettre en valeur des personnages de diverses identités sexuelles ont cependant eu lieu ces dernières années, suite au rachat de Lucasfilm.
Tout comme dans l'ancien UE, le premier personnage LGBT canon était lesbienne. Il s'agissait du personage de Moff Delian Mors, une impériale introduite en 2015 dans le roman Les Seigneurs des Sith de Paul S. Kemp. Elle deviendra la première d'une longue liste de personnages queer présentés en moins de dix ans à travers les oeuvres littéraires de Star Wars. Citons pêle-mêle - et non exhaustivement - : le couple queer Aleksin et Pavol, clones humanoïdes d'une espèce féline inconnue introduits en 2015 dans le comics Lando ; un couple de lesbiennes mariées dans la trilogie de romans Riposte de Chuck Wendig, où l'on découvre également Eleodie Maracavanya, non-binaire et premier personnage de Star Wars à utiliser le pronom neutre « iel » ; le pilote gay Ledaney, dans le roman Liens du Sang de Claudia Gray ; l'humaine bisexuelle Kaeden Larte, présentée dans le roman Ahsoka d'E.K. Johnston comme amoureuse d'Ahsoka Tano ; ou encore, plus récemment, le duo non-binaire Terec et Ceret, introduits dans les comics Marvel sur la Haute République.
Terec et Ceret, dans le comics La Haute République
Parmi les cas les plus médiatisés de ces dernières années, l'archéologue Chelli Aphra, un des nouveaux personnages Star Wars les plus populaires de ces dernières années est elle aussi lesbienne. Une première pour une personnage de son importance, qui possède ses propres séries de comics. Le premier numéro de sa série mettait d'ailleurs aussitôt les choses au clair en montrant, dans un flashback, la relation qu'Aphra avait entretenue avec la contrebandière Sana Starros. La jeune chasseuse de trésors est par ailleurs aussi à l'origine du premier baiser LGBTQ+ explicite du nouveau canon. La scène est parue en 2018, lors d'une péripétie de l'archéologue en compagnie de la capitaine impériale Magna Tolvan.
Quelques histoires secondaires sont également venues nuancer des personnages déjà apparus à l'écran. En 2017, par exemple, pour le 40e anniversaire d'Un Nouvel Espoir, une nouvelle parue dans l'anthologie From A Certain Point of View a canonisé et donné une épouse à Ackmena, la propriétaire de la cantina du tristement célèbre Star Wars Holiday Special. Plus subtilement, le roman de E.K. Johnston, L'Ombre de la Reine, centré sur Padmé, laissait planer le doute sur le lien très nuancée de la relation entre la reine et ses servantes, en particulier Sabé avec qui elle était très proche et intime. Et dans Leia, princesse d'Alderaan, de Claudia Gray, le personnage de Amilyn Holdo explique, au détour d'une conversation, avoir une attirance pour des êtres non humains (et non proche-humains).
Magna Tolvan et à Chelli Aphra dans le comics Docteur Aphra
En termes de représentativité, Leia, princesse d'Alderaan introduisait en outre une nouvelle espèce alien, les Chalhuddans. Originaires de la planète marécageuse Chal Hudda, ces derniers possédaient cinq genres différents, et en changeaient tout au long de leur vie. Les pronoms de leur langue maternelle étaient complexes, car ils indiquaient non seulement leur genre actuel, mais aussi les deux ou trois genres précédents, et même parfois, le genre le plus susceptible d'être adopté ensuite. Mais comme le basic n'avait pas de mot équivalent, le « vous » et le « iel » étaient utilisés dans la plupart des cas.
Notons enfin, du côté des séries d'animation, la présence d'un couple d'aliens gay dans la seconde saison de Star Wars Resistance, avec Orka et Flix. Un duo de personnages secondaires dont le lien n'a été confirmé qu'après plusieurs épisodes.
Avec plus d'une vingtaine de personnages clairement définis comme LGBTQ+, la galaxie Star Wars brodée depuis ces dernières années se démarque ainsi franchement des productions précédentes, en continuant une dynamique déjà entamée avant Disney et en l'élargissant, notamment par l'apparition de transgenres et de non-binaires.
Guerres de traduction
L'usage des pronoms neutres a toutefois posé des problèmes de traduction, dans certains pays. En 2018, par exemple Taka Jamoreesa, introduit dans le roman Baroud d'Honneur (Last Shot, en VO) de Daniel José Older, était également un personnage non-binaire, désigné en anglais avec des pronoms neutres. Ce qui ne fut pas repris dans les traductions françaises, polonaises et allemandes du livre, qui ont fait l'objet de controverses.
Or Daniel José Older a intentionnellement indiqué le genre du personnage de Taka Jamoreesa en utilisant les pronoms singulier neutre « they/them », que les anglophones utilisent pour désigner une personne de genre non-binaire. De quoi mécontenter l'auteur qui s'est indigné sur Twitter des choix éditoriaux réalisés dans certains pays. Cela revenait, selon Daniel José Older, à supprimer un type de personnage rarement vu dans Star Wars.
L'écrivain Daniel José Older, récompensé par l'association Pride Squadron, pour la création du pilote rebelle non-binaire, Taka Jamoreesa, dans son roman Baroud d'Honneur, lors de la Star Wars Celebration 2019
La faute n'en revenait pas au traducteur. Celui-ci, Sandy Julien, avait précisé à l'auteur qu'il avait bien suggéré « iel » comme pronom alternatif pour Jamoreesa. Mais cela ne fut malheureusement pas approuvé par l'éditeur du livre. Après s'être personnellement excusé pour le changement, le traducteur jura de pousser à l'avenir les éditeurs à utiliser des pronoms précis, si la situation se reproduisait.
Pocket, l'éditeur français de Baroud d'Honneur, s'était à l'époque expliqué sur sa démarche. La maison d'édition avait ainsi préféré masculiniser le personnage craignant que ses lecteurs ne puissent comprendre l'utilisation de ce "iel". « Des internautes ont regretté l'emploi du masculin pour un personnage non binaire, et regrettent que l'éditeur n'ait pas utilisé de néologismes comme le "iel" pour ce personnage. En effet, le "iel" n'ayant pas été approuvé par l'Académie française et n'étant pas couramment utilisé, il n'était pas question d'en faire usage », s'est alors justifié Pocket, contre l'avis de l'auteur et du traducteur du livre. Après plusieurs polémiques identiques, le pronom « iel » fut par la suite adopté en 2020, et utilisé depuis pour désigner tous les personnages non-binaires des oeuvres Star Wars. Dans les romans et comics, du moins.
Les occasions manquées du cinéma
Concernant les films de la saga, la question s'est d'abord posée en 1999 pour La Menace Fantôme. Jar Jar Binks aurait failli être gay. Cependant, George Lucas s'est rapidement rétracté, jugeant irrespectueux et dénigrant de faire du personnage le plus stupide et ridicule du film le premier LGBTQ+ de la franchise au cinéma. Il pensait que cela ferait trop stéréotypé pour représenter un personnage gay.
Plusieurs années plus tard, après la sortie du Réveil de la Force en 2015, une grande partie du fandom était persuadée, ou du moins espérait que Finn et Poe Dameron allaient devenir un couple grâce à la complicité mordante du duo à l'écran. De nombreuses publications, fan-art, théories et autres, virent le jour sur les réseaux sociaux, avec le hashtag #FinnPoe. Et avec l'assentiment des principaux intéressés. L'acteur Oscar Isaac (Poe Dameron) déclara ainsi à ce propos dans le talk-show américain The Ellen Show : « Je pense que c'est une romance très subtile qui se produit. Vous devez le regarder plusieurs fois pour voir les petits indices. Au moins, je jouais de la romance ; dans le cockpit, je jouais de la romance. »
Finn et Poe Dameron dans L'Ascension de Skywalker.
Malgré les attentes et la complicité des acteurs, le second volet de la trilogie, Le Dernier Jedi est passé sans que rien n'aille davantage dans ce sens. Les théories reprirent toutefois du poil de la bête dans les mois précédant la sortie du dernier volet de la trilogie sequels, L'Ascension de Skywalker. Les rumeurs furent alimentées par quelques déclarations du réalisateur J.J. Abrams mentionnant qu'une représentation LGBTQ+ dans les films Star Wars était inévitable, puis sa confirmation qu'il y en aurait une dans l'Episode IX. Ce n'allait cependant pas être Finn ou Poe, ce qui a déçu à la fois les acteurs et les fans.
En fin de compte, la sortie de L'Ascension de Skywalker a provoqué encore plus de discussions que la liaison avortées entre Poe et Finn. Le moment inclusif du film vanté par Abrams n'a été qu'un rapide baiser, bref et sans conséquences, entre les personnages Larma D'Acy et le lieutenant Wrobie Tyce, qui se trouvaient en arrière-plan, dans l'euphorie de la victoire à la fin du long métrage. Quant à Poe, il s'est retrouvé embourbé dans une intrigue secondaire hétéro-normative avec Zorii Bliss, une ancienne associée, avec qui il flirte à plusieurs reprises tout au long du film.
Le fugace baiser entre Larma D'Acy et Wrobie Tyce, à l'arrière-plan d'une scène finale de l'Episode IX.
Bref, un final décevant pour les fans par rapport aux déclarations répétées d'Isaac ou de Abrams, en faveur d'un personnage queer. Il est vrai que le sujet reste encore sensible. Jon Kasdan, co-scénariste de Solo : A Star Wars Story, avait ainsi subi les foudres d'une partie de l'Internet pour avoir déclaré que le jeune Lando Calrissian incarné dans le film par Donald Gover, était pansexuel. Un trait pas explicitement évoqué par le scénario, mais qui pouvait être librement perçu comme tel par le public. « J'aurais adoré intégrer un personnage plus explicitement LGBT dans ce film », a par ailleurs mentionné Jon Kasdan sur ce sujet. « Je pense qu'il est grand temps que cela arrive ».
Le mot de la fin
Dans notre galaxie, la diversité est de mise et est aujourd'hui ancrée dans les moeurs. Ainsi, il semble normal d'inclure cette diversité dans les différentes oeuvres Star Wars.
Afin de créer un univers de fiction réaliste, il est important d'y intégrer certains éléments du réel. Tel que le précise Emmanuel Carrère, « toute fiction se nourrit d'expérience en même temps qu'elle invente ». Et comme le dit André Dussolier, « la fiction peut être un moyen d'appréhender le réel, à défaut de pouvoir l'expliquer. » Dès lors, quoi de tel que la diversité sexuelle pour refléter le réel ?
La récente apparition de personnages queer dans l'univers Star Wars reflète une volonté de réalisme dans les scénarios concernant la liberté sexuelle et la romance non hétéro-normative. Elle témoigne aussi d'une réelle ouverture d'esprit de la part de la franchise. Ce mouvement n'est pas récent et ne se résume pas qu'à l'ère Disney. Toutes continuités confondues, on répertorie près d'une quarantaine de personnages et espèces queer. Un nombre à comparer aux plus de 21.000 autres personnages de l'univers Star Wars. Une goutte d'eau dans un océan d'hétéros !
Le fait qu'il y ait si peu de personnages explicitement queer témoigne du travail qui reste à faire par la franchise lorsqu'il s'agit de représenter un univers reflétant son fandom, et notre monde. Les auteurs veulent montrer que la diversité sexuelle existe et ne doit pas être un sujet tabou, à une époque où le racisme et l'homophobie sont encore profondément présents. Elle ne peut non plus être reléguée qu'au matériel accessoire de la saga. Malgré certains efforts déjà fournis, il reste encore du chemin à faire dans ce long travail de représentation. Et notamment dans les films.